Les devoirs à domicile renforcent les inégalités
Question à Joëlle Milquet, vice-présidente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et Ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance
Madame la Ministre, depuis plusieurs années, des études ont démontré l’effet discriminatoire des devoirs à domicile. Elles mettent en exergue le fait que chaque élève ne dispose pas nécessairement des mêmes possibilités d’encadrement à domicile. En plus, ces travaux empiéteraient sur les moments de loisirs nécessaires au développement de l’enfant.
L’Observatoire de l’enfance, de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse a mené, l’année dernière, une enquête sur un groupe de futurs enseignants. Les résultats viennent d’être dévoilés et j’ai pu constater deux éléments intéressants. Le premier est que les futurs instituteurs sont, de manière générale, peu au courant de la réalité des élèves après l’école: fatigue, envie de jouer et de s’amuser ou, au contraire, envie de calme et d’attention…
Dans le cadre de cette enquête, des immersions ont été organisées dans des écoles des devoirs. Celles-ci ont permis à ces étudiants de prendre conscience des difficultés du travail à domicile. Le deuxième élément est que la majorité de ceux-ci ne connaissait pas l’encadrement légal des devoirs à domicile. En effet, depuis son adoption, le décret du 29 mars 2001 prévoyant les modalités des devoirs dans l’enseignement fondamental a fait l’objet de mises en application très diverses par les écoles: les enseignants ne le connaissent pas bien et ont donc des difficultés à le mettre en œuvre.
Si cette question concerne également le ministre de l’Enseignement supérieur, que j’interroge également sur cette problématique, je souhaite que vous m’apportiez plusieurs éclaircissements. Alors que la déclaration de politique communautaire prévoit l’instauration d’études dirigées dans les établissements scolaires afin d’accompagner les élèves dans la réalisation de leurs devoirs, où en est-on aujourd’hui dans cette réflexion, menée dans le cadre des travaux du Pacte pour un enseignement d’excellence?
Quel soutien peut-il être proposé aux écoles soucieuses de réduire l’impact négatif que peuvent avoir les devoirs dans l’installation de ces structures? Parallèlement, peut-on affirmer, comme il me revient régulièrement, que le décret du 28 mars 2001 est appliqué très diversement dans les classes? Le rôle des inspecteurs étant primordial, une collaboration a-t-elle déjà été mise en place de ce côté-là?
Réponse de la ministre
En 2012, l’Observatoire de l’enfance, de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse a fait réaliser une étude sur les devoirs à domicile. Cette recherche, dont les résultats ont été présentés le 1er octobre dernier, a abouti à deux constats: les devoirs à domicile renforcent les inégalités et ils interfèrent dans la conciliation du temps scolaire, familial et personnel des enfants. Nous devons en conclure que le décret de 2001 relatif à la régulation du travail à domicile n’est pas appliqué dans un certain nombre d’établissements. Dans ce contexte, l’étude émet une série de recommandations, accompagnées de pistes très intéressantes d’actions concrètes.
Cette recherche-action construite autour d’un module de formation à destination des futurs enseignants consiste à confronter leur perception de la nécessité de donner des devoirs à domicile et à la situation concrète des enfants. L’étude plaide pour que les devoirs et leçons soient remis à leur juste place, qu’ils n’apparaissent plus comme des vecteurs d’exacerbation d’échec scolaire et d’inégalités sociales. Lors des audits du fondamental, les services d’inspection, qui, sur trois ans, ont visité toutes les écoles primaires, ont pu analyser la manière dont les écoles respectaient le décret du 27 mars 2001. Ils ont ensuite comparé leurs constats aux résultats de l’étude. J’ai demandé au Service de l’inspection de diffuser auprès de tous les inspecteurs les résultats de la recherche-action et de la valoriser auprès des enseignants.
Par ailleurs, je vais m’entretenir avec le ministre Marcourt pour m’assurer que les travaux de l’Observatoire de l’enfance soient portés à l’attention des futurs enseignants et de leurs formateurs dans les meilleurs délais. Il s’agit en effet d’une problématique qui doit s’intégrer dans la formation initiale.
En outre, pour l’enseignement obligatoire, nous allons actualiser les circulaires destinées aux directions, aux enseignants et aux associations de parents. Nous le ferons en associant le groupe du Pacte pour un enseignement d’excellence qui s’occupe de la question des devoirs à domicile. Enfin, nous allons augmenter les budgets des écoles de devoirs.
Réplique de C. Morreale
Nous partageons le même constat. Les devoirs peuvent reproduire les inégalités. De manière générale, notre système éducatif est assez enclin à reproduire ces inégalités. Un des objectifs du Pacte d’excellence est de rompre cette logique. Cela passe par la formation de base. J’ai interrogé votre collègue Jean-Claude Marcourt afin de le sensibiliser à cette question. Il s’est montré assez réactif. Cela passe également par le résultat du Pacte scolaire. Les professeurs et les instituteurs doivent être convenablement informés des dispositions légales. Celles-ci sont visiblement appliquées de manière très diverse et inégale. Il faut être attentif à cette situation qui participe également à la reproduction des inégalités et rectifier le tir.