La rentrée scolaire dans l’enseignement spécialisé
Fédération Wallonie-Bruxelles
Question de Mme Christie Morreale à Mme Joëlle Milquet, vice-présidente et ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance, intitulée «Rentrée scolaire dans l’enseignement spécialisé»
Le 18 mai 2015, l’administration générale de l’Enseignement obligatoire transmettait la circulaire n° 5262 relative à la rentrée 2015-2016 dans l’enseignement spécialisé. Le chapitre 11 du tome 1er prévoit qu’: «Une modification afférente à l’article 132 du décret du 3 mars 2004 organisant l’enseignement spécialisé devrait entrer en vigueur le 1er septembre 2015. Cette modification a trait aux intégrations permanentes totales dans le 3e degré de l’enseignement secondaire ordinaire. Cette mesure tend à uniformiser les périodes accordées dans le cadre de l’intégration permanente totale, en accordant quatre périodes pour les intégrations organisées dans l’enseignement fondamental et dans l’enseignement secondaire ordinaire. En conséquence, dans le 3e degré, seuls les élèves relevant de l’enseignement secondaire spécialisé des types 4, 5, 6 et 7 pourront encore bénéficier de ces 16 périodes d’accompagnement.» Précédemment, les types 1, 2, 3 bénéficiaient de 16 périodes, le type 2 n’étant pas nécessairement représenté, puisqu’il concerne un handicap peut-être plus profond qui permet moins l’intégration. Je poursuis ma citation: «Par contre, les élèves relevant de l’enseignement secondaire spécialisé des types 1, 2 et 3 et intégrés au 3e degré de l’enseignement secondaire ordinaire ne bénéficieront plus que de quatre périodes d’accompagnement.»
Je m’avoue surprise de voir apparaître une telle décision dans une circulaire de rentrée. Cette circulaire mentionne évidemment que cette modification des périodes d’accompagnement dont bénéficient les enfants en intégration permanente totale dans le 3e degré de l’enseignement secondaire ordinaire passera par une modification de l’article 132 du décret du 3 mars 2014. Cette modification sera inscrite dans le projet de décret-programme qui nous sera soumis sous peu et qui n’est donc pas encore validé par ce Parlement. Une circulaire prévoit donc les dispositions du futur décret-programme. Pourtant, dans les écoles, c’est déjà la panique. Il me revient que les directions d’école ne souhaitent plus lancer des programmes d’intégration des enfants relevant des types 1, 2 et 3 pour l’année 2015 puisque les périodes d’accompagnement sont modifiées. Le jeudi 4 juin, la presse reprenait des informations prévoyant que ces enfants ne pourraient plus bénéficier que de quatre périodes d’encadrement, sans toutefois préciser, évidemment, que cette décision n’était pas encore validée.
Si une circulaire ne peut pas modifier une disposition décrétale et que, comme évoqué, nous n’avons pas encore pu nous pencher sur le décret-programme de l’année 2015, je vous fais part de mon étonnement face à cette mesure. Le 28 avril, Madame la Ministre, à votre retour du Québec, vous m’affirmiez que la modification des périodes d’accompagnement ferait partie d’une modification globale, comme le souhaitait, si je ne m’abuse, le Conseil supérieur de l’enseignement spécialisé, et non pas d’une mesure isolée, eu égard aux différents échos que vous aviez reçus des divers organes de consultation.
Vous évoquiez, lors de cette même séance, plusieurs pistes pour améliorer notre enseignement spécialisé. Je choisis quelques passages: «En ma- tière d’intégration, il faut absolument penser aux moyens accordés pour soutenir les enseignants qui accueillent ces élèves en difficultés orthopédagogues, éducateurs spécialisés, personnel paramédical.» Vous affirmiez également qu’«il est important d’imaginer un dispositif intégré et complet».
Or, en annonçant cette décision à travers cette circulaire et sa possible transposition, j’ai l’impression que vous allez à contre-courant de l’avis du groupe de travail de concertation pour l’enseignement spécialisé qui, lors de sa séance du 17 décembre 2014, affirmait, à la suite de votre sollicitation, qu’il était prématuré de modifier un seul aspect du chapitre 10 du décret de 2004, sans pouvoir en mesurer les nombreux impacts. Les organes d’avis préconisaient alors une réflexion globale, en associant les partenaires impliqués. J’ai appris entre-temps que vous aviez émis le souhait de les rencontrer, mais que pour des raisons indépendantes de votre volonté, cette rencontre n’avait pas pu être organisée.
Quid de ces recommandations formulées? Avant que le Parlement n’avalise cette modification à travers l’approbation du décret-programme, pouvez-vous nous informer sur les impacts que pourrait avoir cette mesure? Quelles sont mesures transitoires prévues pour les enfants fréquentant, pour l’année 2014, le 3e degré et qui bénéficient déjà d’un programme d’intégration? Combien d’enfants seraient-ils éventuellement touchés par cette mesure? Le cas échéant, comment pensez- vous réaffecter ces périodes d’accompagnement économisées par cette mesure? Quelle somme souhaitez-vous ainsi économiser ou réaffecter? J’aimerais obtenir des précisions quant à l’impact de cette mesure sur le capital-périodes.
Ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance :
Je m’étais déjà exprimée sur cette question, mais ce sera clairement indiqué dans le décret-programme. Cette décision prise avec le plein soutien de mon partenaire de gouvernement répond, en tous points, aux objectifs que vous rappelez et que j’ai soulignés en rentrant du Qué- bec. Cela répond notamment à des sollicitations de parents d’enfants autistes. Cette mesure permettra de développer, à la rentrée, 450 nouvelles périodes complémentaires d’intégration dans les écoles, pour donner des périodes d’intégration à des enfants qui n’en avaient pas jusqu’à présent, essentiellement pour des troubles autistiques, notamment le syndrome d’Asperger. Ces parents se plaignaient de l’absence de places et d’accompagnement dans les écoles ordinaires.
Quel a été le raisonnement suivi en ce qui concerne cette mesure? Nous ne parlons ici que des types 1 et 3. En premier et deuxième degrés du secondaire, ils reçoivent quatre périodes d’intégration. Et soudain, dans les deux dernières années du secondaire, ils en reçoivent seize. Cela n’a aucun sens! Tous les acteurs nous ont dit qu’ils n’avaient pas besoin de seize périodes. Nous avons simplement uniformisé, en donnant quatre périodes pour les degrés 1, 2 et 3. Cela nous a permis d’utiliser une grosse partie des périodes ainsi économisées pour les offrir en périodes d’intégration à d’autres types d’enfants, en primaire comme en secondaire, notamment pour les troubles autistiques et autres difficultés d’apprentissage. C’est le but de la mesure qui est accompagnée d’une autre décision dont je me réjouis tout autant et qui correspond parfaitement à l’idée que nous avons défendue. Nous nous sommes inspirés du système flamand: au lieu d’envoyer directement l’enfant dans l’enseignement spécialisé, il faudra rechercher les raisons de l’absence d’encadrement, de périodes d’intégration dans l’école ordinaire ou de l’incapacité de l’école ordinaire à offrir un accompagnement adapté aux troubles de l’enfant et essayer d’y remédier.
Nous avons même fait préciser que ni la non-maîtrise de la langue ni l’indice socio-économique n’étaient des motifs valables, suffisants pour justi- fier un départ vers l’enseignement spécialisé. En effet, dans notre enseignement spécialisé, les élèves à indice socio-économique faible forment la majorité des cas. Or, ces enfants n’étant pas plus bêtes, il y a un vrai problème. Pour ma part, je mène une politique des petits pas, dans la même cohérence. Il ne s’agit pas de grand changement de cap ou de ficelles à l’emporte-pièce. Il s’agit d’assembler petit à petit les éléments du lego d’une même stratégie. Ce n’est pas la panacée, mais cela montre que nous nous dirigeons progressivement vers l’école inclusive, que nous donnons plus de périodes d’intégration. Objectivement, je le répète, seize périodes dans les deux dernières années, cela ne servait à rien, tout le monde nous le disait. Nous aimons autant les récupérer pour l’école ordinaire. Cela entraîne une petite économie, c’est vrai. J’ai préféré cette solution pour renforcer les offres de périodes dans l’ordinaire. Nous avons étoffé les 900 périodes complémentaires de 50 %, avec 450 supplémentaires pour la rentrée 2015. Comme je vous l’ai dit, cela figurera dans le décret-programme.
Nous en avons informé les établissements par une circulaire purement informative et nous n’avons reçu que des réactions positives. Cette mesure a fait l’objet de discussions auprès du Conseil supérieur de l’enseignement spécialisé. Cela correspond à ce qu’il souhaite. Je le répète, ce n’est pas un grand changement, mais avancer, c’est changer!
Christie Morreale :
En ce qui concerne l’objectif à atteindre, Madame la Ministre, d’autres collègues l’ont dit et vous l’avez confirmé, il y a un problème dans l’enseignement spécialisé, du fait que l’on y envoie trop facilement des élèves – l’augmentation du nombre d’élèves qui fréquentent ce type d’enseignement le démontre – et trop souvent en raison des indices socio-économiques. C’est un problème dont il faut s’occuper.
Le manque de perméabilité des deux enseignements pose également problème. Quand on intègre l’enseignement spécialisé, il est très difficile de repasser dans l’enseignement ordinaire. Le fait que vous soyez allée au Canada pourra sans doute apporter un nouvel éclairage à ce dossier.
Voici quelques semaines, lorsque vous vous êtes exprimée à votre retour du Canada, vous aviez annoncé que vous proposeriez une réforme globale. Or, ici, il ne s’agit que d’une mesure.
Ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance :
C’est un début, mais qui va tout à fait dans le même sens.
Christie Morreale :
Je pensais que le Conseil supérieur de l’enseignement spécialisé avait proposé de faire une sorte de moratoire, notamment en évaluant le décret « M » en Flandre. Il serait peut-être légitime d’essayer de voir, pour les handicaps les plus légers que sont les types 1 et 3, si l’on ne pourrait pas diminuer le capital-périodes, donc les huit points dans l’enseignement ordinaire puisque, dans l’enseignement spécialisé, les quatre points sont maintenus pour ces personnes. Mais si on divise en deux cette manne de 900 périodes, ce sont 450 périodes qui seraient perdues pour l’intégration.
Ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance :
Non. Tout le monde nous a dit qu’il était absurde que ces élèves bénéficient de quatre périodes pour le premier degré, de quatre pour le deuxième degré et de seize en 5e et 6e année. Ce sont des périodes superfétatoires. On a simplement uniformisé et prélevé une partie importante pour pouvoir financer des nouvelles périodes en faveur de l’intégration des enfants plus jeunes, des autistes, etc.
Ce n’est pas une énorme innovation, mais un petit pas dans le sens d’une réforme plus générale.
Dans l’enseignement,une période de cinq ans représente globalement quatre rentrées scolaires. À la rentrée 2015-2016, nous ne pourrons pas faire grand-chose puisque nous venons d’arriver et que le Pacte est en cours, mais il y aura également les rentrées 2016-2017 et 2017-2018. Après, nous serons en précampagne électorale. Nous avons donc deux années utiles. Si je ne commence pas dès à présent à poser des jalons, nous n’avancerons jamais. Je connais les grandes théories et les évaluations qui nécessitent de fréquentes rencontres, pas toujours faciles à fixer, même si cela peut faire progresser les choses.
Nous allons construire une réforme beaucoup plus globale, puisque l’idée est d’aller bien plus loin. Il s’agit notamment de fédérer PMS et PSE et in fine de faire venir les spécialistes dans l’école ou dans un groupe d’écoles. Nous aurions ainsi, comme au Québec, des spécialistes travaillant dans l’école ordinaire, en réseau ou non. C’est une vraie révolution et cela prendra du temps. Ici, j’essaye de poser des petits jalons pour montrer qu’on ne rentre pas dans l’enseignement spécialisé comme dans du beurre.
Christie Morreale :
Nous partageons le même objectif. En revanche, si sur les 900 périodes, 450 sont redistribuées dans des pro- jets spécifiques comme le polyhandicap, l’autisme, la dysphasie, etc. – et même les spécialistes disent qu’une partie devrait être distribuée au profit de l’intégration –, cela concerne 2000 enfants, ce qui équivaut à un quart d’heure par semaine et par enfant. Cet objectif, même s’il est tout à fait légitime, serait dilué par le transfert.
Vous parlez aussi d’un projet spécifique pour les hauts potentiels, la création d’une école avec des capitaux-périodes, à Saint-Boniface. Disposez-vous d’une étude concluant qu’il fallait mettre les hauts potentiels ensemble?
Quant à la répartition, s’il y a huit périodes de trop et que l’on atteint les 900 périodes, essayons de les affecter à l’intégration, pour faire en sorte qu’un maximum d’élèves sortent de l’enseignement spécialisé.
Ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance :
Le projet de Saint-Boniface n’est qu’un projet-pilote. Il ne reçoit pas ces subventions. Même s’il faut également suivre la problématique des hauts potentiels, nous avons d’autres priorités en matière d’intégration.
Christie Morreale :
Certes, mais ne prélève-t-on pas sur ces capitaux-périodes?
Ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance :
Non, car ce projet est financé par un autre type de subventions.
Christie Morreale :
Je note cependant avec satisfaction que vous ne touchez pas au montant de 1.200.000 euros visant à favoriser l’intégration avec des périodes complémentaires.