12 avril 2016
In
Actu, En action
Depuis des mois, le PS marque son opposition au CETA, ce traité de libre-échange avec le Canada. Devenu un enjeu politique autant qu’économique, ce traité menace clairement nos standards sociaux, sanitaires et environnementaux. Cet avis est également partagé par plus de 3 millions d’européens qui ont signés des pétitions « STOP TTIP & CETA ».
Retrouvez notre proposition de résolution qui demandait déjà son rejet il y a presque un an: http://goo.gl/XUrPyf
Voici ma position, lors de nos discussions en commission des Affaires Générales du 29 février 2016:
« Dans l’historique depuis le mois de mai, notre groupe avait marqué son opposition au traité du CETA. On n’a pas attendu les auditions pour marquer cette opposition, parce que le texte du CETA, contrairement au TTIP, est connu en grande partie. D’emblée, une précision : on l’avait déjà dit, on n’est pas anti-Canadiens, anti-Américains ou anticommerce ni protectionnistes. Pour nous, c’est indispensable que ce type d’accord puisse porter atteinte aux standards sociaux, sanitaires et environnementaux.
D’une manière générale, les accords commerciaux européens ne doivent pas conduire – on l’a dit notamment pour le TTIP, on le dit aussi pour le CETA – à un nivellement par le bas des normes sociales, sanitaires ou environnementales. De même, ils ne peuvent pas, en aucun cas, mettre en péril la capacité des États à réguler. On peut parler de dérégulation, nous pensons que c’est un des éléments importants dans ce projet de traité.
Très concrètement, le CETA tel qu’il est proposé pose des menaces concrètes sur plusieurs choses :
– sur le droit à l’égalité devant la loi ;
– sur le droit à la culture ;
– sur le droit au travail ;
– sur le droit à une rémunération équitable ;
– ou encore sur le droit à la santé.
Le CETA, on pourrait dire le petit frère du TTIP, est un débat autant politique qu’économique. Nous sommes autant sur le plan du commerce que sur celui des valeurs. Les enjeux que ces traités sous-tendent sont directement liés aux droits humains. C’est également l’avis de la Ligue des droits de l’homme. Le débat porte donc à la fois sur le plan économique, mais aussi sur le plan général d’une certaine vision de la société, d’une approche différente des valeurs fondamentales que nous ne pouvons ni ne voulons brader. Trois millions d’Européens ont signé une initiative « Stop TTIP et CETA » qui partage aussi cet avis. Ces accords de libre-échange doivent être encadrés par des balises claires, précises et non négociables. Le rappeler est une manière de pouvoir faire progresser les choses. C’est sûr que si on se tait et si on fait une confiance aveugle, on n’amènera aucune proposition alternative.
On l’a bien vu tout à l’heure, si des États membres, des régions ou la société civile ne s’étaient pas manifestés, on n’aurait eu aucune avancée sur un projet qui était soi-disant ficelé, pour lequel on n’avait plus rien à dire. Il est important de pouvoir redire les balises qui nous semblent ne pas être respectées aujourd’hui. À l’état de nos connaissances, elles sont de l’ordre de sept.
La première balise, c’est la transparence dans les négociations de tout accord de libre-échange, en impliquant et en informant davantage le Parlement européen, les parlements nationaux et régionaux et la société civile. Depuis le début des négociations sur le CETA en 2009, cela a été rappelé. Les parlementaires n’ont pas été informés ni consultés. Il en est de même pour la société civile. Pour le CETA, les textes sont restés secrets pratiquement d’un bout à l’autre de la négociation.
La deuxième balise, c’est l’inclusion de normes sociales et environnementales contraignantes avec des mécanismes de contrôle et de sanction en cas de non-respect de ces normes. Il est étonnant de constater que des sanctions existent pour les dispositions commerciales et d’investissement et qu’elles n’existent pas pour les normes sociales et environnementales. Cela crée une situation où les normes du commerce et de l’investissement sont au-dessus des normes sociales et environnementales. C’est une hiérarchie qui est exactement à l’inverse de ce que nous souhaitons pour mettre la mondialisation au service de l’humain.
La troisième balise, c’est une attention particulière aux intérêts des acteurs agroalimentaires européens ainsi qu’aux intérêts des consommateurs, notamment en refusant toute réduction des normes sanitaires et agroalimentaires et en renforçant les informations aux consommateurs afin que ceux-ci puissent exactement connaître la composition et l’origine des produits qu’ils consomment.
La quatrième balise, c’est assurer l’exclusion des services publics et d’intérêt général de toute marchandisation. À cet égard, la Commission martèle sans cesse que les services publics sont parfaitement protégés dans le CETA. Pourtant, que constate-t-on à la page 1 574 du projet de CETA : l’Allemagne, dans sa fameuse liste négative, c’est-à-dire « tout est libéralisé sauf ce qui est listé » – c’est d’ailleurs une des balises que l’on souhaite faire également sauter – a introduit une exception qui exclut de toutes les formes de libéralisation les services liés à son système national de protection sociale. Concrètement, cela veut dire que l’Allemagne ne souhaite pas, pour des raisons que l’on ignore, libéraliser les services liés à son système de protection sociale. Si elle l’inscrit dans cette liste, on peut supposer que sa crainte et que sa liste négative « tout est libéralisé sauf ce qui est listé » englobe ses services de protection sociale. Cette exception ne se retrouve pas telle quelle dans la liste belge, ni dans aucune autre liste d’ailleurs des autres États membres. On peut en être inquiet, cela peut aussi susciter un certain nombre de questions. Cela veut-il dire que les systèmes belges de protection sociale sont en danger ? Cela laisse en tout cas interrogateur. C’est ce que semblent croire en tout cas les mutuelles de santé belges puisqu’elles nous disent que le CETA et le TTIP menacent de privatiser, voire de marchandiser, une partie de l’assurance santé obligatoire en Belgique ; ce qui serait pour nous tout à fait inacceptable. Cinquième élément, c’est préserver la capacité des États à légiférer en marquant notre ferme opposition à la clause de règlement des différends entre les investisseurs et l’État.
Ce traité suscite les mêmes craintes que le TTIP, en particulier concernant la clause de règlement des différends entre investisseurs et États, car le CETA permettrait d’ores et déjà à des entreprises basées aux États-Unis d’attaquer des décisions publiques européennes, belges et wallonnes via leurs filiales canadiennes, rendant ainsi caduc le débat sur la clause d’arbitrage dans le TTIP.
C’est la raison pour laquelle je disais en début de mon intervention que nous n’étions pas anti-Américains sur la base, mais c’était par ce biais que les entreprises des États-Unis pouvaient intervenir dans le cadre de cet accord. D’abord, on peut s’étonner du deux poids, deux mesures qui existe en la matière. En effet, les lois du travail doivent être appliquées et doivent être rendues contraignantes dans les tribunaux nationaux, tandis que les investisseurs transnationaux ont absolument besoin d’avoir un recours à un système supranational d’arbitrage. D’un côté, les cours locales ne sont pas fiables, mais par contre apparemment, pour les travailleurs, les cours nationales sont la seule option qu’on leur proposerait. Il y a donc deux poids, deux mesures qui là aussi nous paraissent inacceptables. Ensuite, on a parlé récemment au Parlement européen d’un ISDS qui serait réformé, l’ICS, qui constituerait certes un progrès, mais qui reste insuffisant à nos yeux. Les risques pesant sur notre système démocratique subsistent et ils mettent clairement en question la capacité à légiférer des États. En effet, un investisseur pourra toujours contester une décision prise par les pouvoirs publics et c’est précisément ce mécanisme qui nous pose problème. En réalité, l’ICS n’est qu’une nouvelle tentative de sauvetage d’un mécanisme irréformable, car tout comme l’ISDS, cette nouvelle cour d’investissement reste conçue en faveur d’une logique unilatérale : celle des investisseurs. En effet, le monopole des dépôts de plaintes reviendrait uniquement aux entreprises.
Avant-dernière balise, c’est rejeter le recours aux listes négatives – je l’ai évoqué dans mon intervention – dans les accords de libre-échange. Les listes négatives posent beaucoup de questions, au-delà de leur logique de libéralisme poussé à l’extrême. La présence par exemple d’une clause de la nation la plus favorisée dans le TTIP n’étendrait-elle pas automatiquement aux ÉtatsUnis les secteurs libéralisés par la liste négative dans le CETA ? Quelle réglementation aujourd’hui en vigueur en Belgique et en Wallonie serait protégée par la liste ? Lesquelles ne le seraient pas ? Quelle réglementation future serait autorisée en l’absence de traité et serait interdite s’il entrait en vigueur ? Ce sont des questions qui nous paraissent essentielles, auxquelles personne ne peut répondre. Or, avant de prendre toute décision, il serait utile d’en connaître les conséquences.
Enfin, c’est exiger le respect absolu de la protection des données, promouvoir et protéger la diversité culturelle, notamment en faisant inscrire dans les accords de libre-échange la référence à la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
Vous l’aurez compris, le CETA ne semble pas respecter l’ensemble des balises. Dans ce contexte, nous ne pouvons que marquer notre opposition à ce dernier. Notre groupe s’opposera au CETA tel qu’il se présente aujourd’hui au moment où nous nous exprimons.
On entend parfois dire que l’on pourrait réviser les textes afin notamment de réviser le mécanisme ISDS. Nous souhaitons aussi être constructifs et proposons dès lors que l’on mette à profit la révision de ces textes pour clarifier et corriger un certain nombre d’éléments en suivant les balises claires que nous avons posées plus haut. Ce n’est à notre sens qu’à cette condition que nous pourrons garantir le droit des États à réguler, que nous pourrons garantir le droit des États d’exclure de l’AECG des services publics essentiels au besoin de la population, en particulier en ce qui concerne l’accessibilité à l’eau et aux soins de santé, que nous pourrons défendre de manière efficace notre modèle agricole – cela a été évoqué par la députée qui m’a précédée – que nous pourrons assurer le respect de la protection des données et la promotion de la diversité culturelle et que nous pourrons défendre notre modèle européen et les normes sociales et environnementales qui y sont associés. »