Plus de démocratie, plus de tolérance, plus d’égalité!
Intervention dans le cadre du débat sur le Plan de lutte contre la radicalisation du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Nous avons tous été profondément marqués par la barbarie des actes perpétrés voici quelques semaines déjà à Paris, sans oublier la menace écartée dans notre propre pays. Au-delà de l’horreur, de la tristesse et de la sidération puis de l’émotion et de la mobilisation, c’est évidemment le temps de l’analyse et d’une profonde introspection.
Comment de jeunes gens, des élèves, nés en Belgique et en France et ayant suivi une scolarité dans ces même pays, ont-ils pu sombrer dans la radicalisation et concevoir l’indicible ? C’est notre société, notre fonctionnement et notre vivre-ensemble qui sont directement interpellés. Il y a évidemment la radicalisation qui est indéniable, heureusement loin d’être partout répandue mais lorsqu’elle est présente, très vivace, au point de motiver des élèves à partir pour prendre les armes en Syrie. Il y a aussi, de façon très symptomatique, la lecture que chacun fait de ce qui s’est passé. Et nous ne pouvons pas manquer d’être interpellés sur les réactions très diverses, très contrastées, notamment dans les écoles, et dont nous avons tous eu l’écho. Certaines font peur par leur simplisme, leur refus de toute contradiction et leur absence d’esprit critique. Ces évènements ont été un terrible révélateur de l’état de notre société et particulièrement de ses différences, de ses divergences et même de ses fractures.
Le plan du Gouvernement de la FWB pour répondre à cette réalité complexe comprend deux volets. L’un contre le radicalisme. C’est la réponse à court terme, c’est l’urgence qui nous oblige. Mais aussi le bien-vivre ensemble. C’est la réponse sur le plus long terme, sur ce qui fait de nous, toutes et tous, une société que nous voulons ouverte et démocratique.
Autant le dire clairement, malgré une histoire de lutte sociale et d’acquis sociaux, en dépit d’une démocratisation importante de notre enseignement, nous sommes loin de nos idéaux de démocratie et d’égalité. Ce qui n’empêche que nous nous employons, particulièrement au sein de ce Parlement, à nous en rapprocher. Les attaques et les menaces terroristes ont visé directement ces piliers ; le radicalisme fanatisé déteste la démocratie, déteste l’égalité, déteste le libre-examen, déteste l’esprit critique. Quelle réponse y apporter ?
Je ne peux mieux dire que le premier ministre norvégien, Jens Stotelberg, après l’attentat d’Oslo et la tuerie d’Utoya, dont les paroles ont été largement reprises depuis le 7 janvier : «J’ai un message pour celui qui nous a attaqué et pour ceux qui sont derrière tout ça: vous ne nous détruirez pas. Vous ne détruirez pas la démocratie et notre travail pour rendre le monde meilleur […] Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, plus d’ouverture et de tolérance.» Et j’ajouterai plus d’égalité!
Parce qu’il s’agit aussi de cela, en tout cas pour ce qui concerne les compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles au cœur desquelles se trouve l’ensemble de la chaîne « éducative ». Nos élèves ne se réduisent pas au monde scolaire. Ils sont déjà des citoyens, ce sont des jeunes qui aspirent à devenir quelqu’un, à réussir quelque chose. Ils formeront la société de demain mais ils participent déjà activement à celle d’aujourd’hui.
S’il faut pouvoir maintenant, immédiatement pouvoir contrer le radicalisme en l’identifiant et en l’asséchant de tout ce qui pourrait le nourrir, nous avons un travail important à faire sur les valeurs que notre Fédération doit véhiculer. L’égalité est au sommet de celles-ci. Je devrais même dire les égalités puisque les déséquilibres sont nombreux. A mon sens, l’une des plus porteuses, l’une de celles les mieux à même de désamorcer bien des dérives, reste l’égalité entre les hommes et les femmes. Elle demeure plus que jamais une volonté et un combat passionné. Car beaucoup reste encore à faire. Ce n’est qu’en s’assurant qu’hommes et femmes puissent de manière égale participer ensemble au développement de la société qu’on assurera la pleine émancipation de chacun, nécessaire à l’intégration de tous au sein d’une société ouverte et inclusive. Ce n’est qu’en permettant à tous et à toutes, de manière égale, de pouvoir jouir de leurs droits, s’affranchir de leurs devoirs et enfin de pouvoir bénéficier des opportunités d’accomplissements qu’offre la société que nous favoriserons un réel mieux vivre ensemble.
A l’heure où il nous est impératif d’unir nos forces pour repousser ensemble ce qui menace notre société, il serait impensable de ne pas établir le lien évident et de ne pas se saisir de l’opportunité qui se présente pour doubler nos efforts pour atteindre l’égalité. Permettre à toutes les femmes et toutes les filles de prendre leur place au sein de leur famille, de leur communauté et enfin de la société. Leur donner les moyens de s’autonomiser et de s’accomplir au meilleur de leurs capacités et non à la limite des préjugés auxquels elles sont confrontées et des stéréotypes dans lesquels on voudrait les enfermer. Et ce, afin qu’elles puissent, elles aussi, se faire le vecteur de transmission des valeurs de liberté, de respect et de tolérance qui auront permis leur émancipation.
La complexité de cette problématique, comme on l’a déjà dit, nécessite une transversalité dans la réponse apportée et je suis heureuse de voir que c’est bien la volonté qui transparaît dans le plan qui nous est présenté ici. Sans doute avons-nous eu le tort de croire que certaines batailles avaient été définitivement remportées. Par certains égards, nous nous sommes assoupis, nous avons laissé s’émousser certains réflexes, certaines capacités à nous indigner devant l’injuste et l’inégal. La complexité du monde qui nous entoure n’explique pas tout. Le comprendre demande un effort, que dis-je, des efforts. Mais aussi des outils.
Je tiens ici à souligner les efforts déjà entrepris par Mme la Ministre Isabelle Simonis qui, à travers son plan de mesures en faveur de la promotion et la réalisation de l’égalité hommes-femmes, a fait le travail nécessaire d’identifier et d’associer chaque ministre dans sa compétence aux mesures spécifiques à la promotion de l’égalité des genres. Que ce soit à travers la promotion et la sensibilisation à la question du genre dans l’enseignement, à la lutte contre les stéréotypes ou l’amélioration de l’information liée au choix d’orientation des jeunes.
C’est à présent par le biais du volet de l’égalité des chances et de son plan anti-discrimination que la Ministre s’apprête à faire ce travail important au travers de près de 53 mesures abordant l’ensemble des compétences de la Fédération et engageant l’ensemble du gouvernement. Si le détail des mesures annoncées ne saurait tardé à nous être communiqué, nous relèverons tout de même la volonté de centrer ces mesures autour des jeunes et de s’attaquer à des problèmes liés au développement des nouvelles technologies et nouveaux médias tels que la cyber-haine et les différentes formes de cyber-harcèlement. En réponse à la propagation des discours haineux sur Internet et les réseaux sociaux, différentes mesures spécifiques sont proposées, dont le développement d’une signalétique web contre les discours haineux, la création d’un « code de bonne conduite du citoyen en ligne » et le développement d’un contre discours. J’aimerais, sur ce dernier point, avoir plus de précisions sur le dispositif qui sera mis en place. En effet, qui sera chargé de l’élaboration et de la transmission de ce contre-discours et des messages prioritaires qu’il portera et qui en assurera le suivi afin de maintenir une présence efficace sur le net ?
Nous en avons parlé hier en commission. Il existe déjà beaucoup d’initiatives aussi pertinentes qu’intéressantes mais elles sont trop souvent cantonnées à une classe. Il faut pouvoir donner aux enseignants l’accès à ces outils, notamment dans leurs formations. Ainsi, je ne peux que me féliciter de la sortie de la circulaire 5133, qui fait le travail de recensement de ce qui existe actuellement comme services ou comme initiatives. Mais qui en propose de nouvelles. Il faut effectivement que ces enseignants permettent aux élèves d’exercer leur libre-examen, de pouvoir faire la critique de tout ce qu’ils entendent ou lisent autour d’eux ou sur Internet. C’est ce que vous appelez la résistance morale et c’est bien le cœur de ce dispositif. A ce sujet, bien évidemment nos questions sont surtout guidées par le désir de savoir déjà quels seront les contenus proposés aux enseignants et aux élèves, dans quel délai et sous quelle forme pourrons-nous bientôt en prendre connaissance ?
Les cours de citoyenneté, désormais unanimement attendus, pourraient être une belle réponse symbolique. Pas une réponse unique, pas une réponse de circonstance mais une réponse construite dans un but: comprendre les autres, comprendre et accepter les différences, comprendre ce qui fait une société. Plus que ce cours de citoyenneté, c’est bien l’ensemble des dispositifs et des contenus de l’Enseignement, de la Jeunesse qui doivent être porteurs de cette ouverture et de cette passion pour l’égalité. Cela doit être la cohérence et la ligne de force.
Mesdames et messieurs les ministres, les différents dispositifs contenus dans ce plan de lutte contre le radicalisme et pour la promotion du bien-vivre ensemble vont dans ce sens. C’est par la pédagogie, la formation, la sensibilisation que nous pourrons aider à désamorcer le processus de radicalisation. Tout ce qui réunit et aide à comprendre l’autre, à l’estimer en dépit des différences. Et pour cela, il faut mobiliser et mettre en projet. De nombreuses et belles initiatives existent déjà mais il en faut toujours plus. Le plan du Gouvernement est volontariste à cet égard et c’est tant mieux! Il faudra rapidement que cela puisse se concrétiser là où les projets ne sont pas encore assez présents.
Je n’irai pas plus en avant, malgré l’envie, et j’emprunterai pour conclusion les mots de Léon Gambetta pour qui « ce qui constitue la vraie démocratie, ce n’est pas de reconnaître des égaux mais d’en faire« .